J’ai Lu, 2017, 219 pages, 6.90 €
« Parler pour ne plus être victime. Dénoncer est le seul remède. Le remède peut dans un premier temps aggraver les douleurs. Le remède fait mal mais il soigne. Et il n’en existe pas d’autre… Se taire, c’est croire que, seule, nous parviendrons à passer à autre chose. C’est faux dans la plupart des cas. »
2016. Quatre militantes d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) portent plainte pour agression sexuelle et harcèlement contre Denis Baupin, alors député EELV et vice-président de l’Assemblée nationale. Les médias s’en emparent. Sandrine Rousseau, porte-parole d’EELV, est l’une d’elles. Elle raconte la difficulté de porter plainte, l’incompréhension des proches (« Mais pourquoi ne lui as-tu pas mis une baffe ?»), la peur que sa vie intime soit exposée, « la peur de ne pas être crue ». Dans ce parti féministe dont les secrétaires nationales sont des femmes (Voynet, Duflot, Cosse…), la plupart des dirigeants n’ont pas dit « laissons faire la justice, attendons les résultats de l’enquête » mais « il n’y a pas de doute, nous soutiendrons les victimes ». Denis Baupin bénéficie cependant d’un « réseau de soutiens résolus». La plainte ne déclenche ni « débat global » ni « questions collectives ». Il suffit à EELV d’avoir une « commission féministe » et « la parité comme paravent ».
Sandrine Rousseau raconte la « défense insupportable » de son agresseur. Denis Baupin savait « reconnaitre celles qui avaient cette faille, ce manque d’assurance que nous cachions si profondément ». Il se dit victime de « manipulation » et d’un « complot politique ». Il en est même sincèrement convaincu, comme il est persuadé qu’il ne faisait aucun mal et invoque un « libertinage incompris ». « Minimiser, dénier… humilier les femmes, mettre en doute leur parole, en appeler à ce qu’elles ont de plus douloureux en elles pour remuer le couteau dans la plaie et les déstabiliser. » Baupin bénéficie de la prescription, cette « ardoise magique » sur laquelle « sont blanchis les auteurs » de crimes ou de délits. La plainte est classée sans suite comme dans 99 % des cas. « Les défenses insupportables fonctionnent donc. L’ordre des choses dispose d’une armée de petits soldats. Une armée malheureusement mixte. »
Sandrine Rousseau dit aussi « le réveil », ce jour où « la peur a disparu », « la tête un peu plus haute » où elle a eu « enfin le sentiment de ne plus subir ». « Défier l’impunité quand elle est installée est tout sauf anodin. On le mesure aussi ce jour-là. Le jour du réveil. »
Les droits des femmes progressent par « microséismes », « sous les coups de butoirs d‘affaires mises au grand jour » qui brisent le « tabou » écrit Sandrine Rousseau. « Soyons nombreuses à prendre cette parole, à l’imposer sur la place publique. Obligeons la société à évoluer. » Si les 580 000 victimes par an de violences sexuelles en France doivent apprendre à parler, c’est nous tous qui devons apprendre à les entendre.