Il n’aura fallu que quelques heures après les annonces de Gabriel Attal pour que la quasi-totalité des barrages d’agriculteurs soient levés à l’appel de la FNSEA et de la Coordination rurale. Seule la Confédération paysanne a appelé à poursuivre les actions et a dû affronter la police de Darmanin qui est soudain sorti de sa léthargie. Le tout nouveau premier ministre a promis une « pause » sur le plan Écophyto de réduction des pesticides, la diminution du nombre de jachères et le rétablissement des subventions sur le gasoil non routier (GNR) pour les agriculteurs. Bref, le gouvernement se sert de l’écologie comme bouc-émissaire pour mieux épargner les géants de l’agrobusiness, que ce soient les banques, les industries agro-alimentaires ou les grandes surfaces. Il leur est juste demandé de mieux respecter la loi EGALIM. Une loi qui a montré qu’elle est incapable de garantir un revenu à ceux qui travaillent la terre.
Comment expliquer alors que les barrages routiers aient été si rapidement levés ? Tout simplement parce que, dans cette mobilisation, se trouvaient aussi bien les petits agriculteurs écrasés par les dettes, vivant en dessous du Smic et pressurés par les grands capitalistes que des dirigeants de véritables empires de l’agrobusiness tel Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, dirigeant de la multinationale Avril (les huiles Lesieur, Isio4, Puget…). Il est même le président du conseil d’administration de Sofiprotéol, une société de crédit aux… agriculteurs. Pas étonnant que ces messieurs ne veulent surtout pas qu’on s’en prenne aux banques et aux grands capitalistes.
Selon l’INSEE, le revenu moyen d’un foyer agricole était de 1 910 euros par mois en 2021. Mais cette moyenne cache d’énormes disparités : 15 % des agriculteurs non salariés ont gagné en moyenne 670 euros par mois cette année-là. « Quarante pour cent [des agriculteurs] sont de grandes entreprises agricoles et font partie des franges économiques de la bourgeoisie » selon un chercheur de l’INRAE, l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement. « Et l’élite agricole, viticole, appartient même aux cercles de la grande bourgeoisie. Mais il y a aussi toute une partie à revenus faibles, voire très faibles, malgré un patrimoine qui les distingue des ouvriers, dont ils sont proches culturellement ». Ces petits agriculteurs forment en quelque sorte une « classe populaire à patrimoine ». Quant aux ouvriers agricoles, ils gagnent à peine plus que le SMIC et sont souvent précaires.
L’explosion de colère des agriculteurs a suscité une profonde sympathie chez les travailleurs. Le slogan « vivre et pas survivre » résonne avec la stagnation des salaires et la hausse des prix, particulièrement celle de l’alimentation et de l’énergie. Des mouvements de grève dans l’Éducation Nationale, à SAFRAN, à la SNCF ou la RATP ont pour revendications l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail. Mais pour éviter toute convergence des luttes, le gouvernement peut compter sur la FNSEA. Quand la CGT a appelé ses militants à aller à la rencontre des agriculteurs mobilisés, les présidents de la FNSEA et des Jeunes agriculteurs ont déclaré en coeur : « pas question… on n’est pas sur les mêmes combats ».
La colère des petits agriculteurs est légitime. Elle ne trouvera satisfaction que dans la jonction avec les luttes des travailleurs de l’industrie et des services. Les petits agriculteurs et les classes moyennes et populaires ont des adversaires communs que sont les grands distributeurs et les grosses entreprises de l’agro-alimentaire. Ceux-ci font des profits en tirant les prix d’achat vers le bas face aux petits producteurs et les prix de vente vers le haut face aux travailleurs. Plus que jamais, c’est l’augmentation générale des salaires et des revenus qui est à l’ordre du jour. Et c’est un mouvement d’ensemble qui pourra l’imposer.